Le « syndrome rotulien » ou « fémoro-patellaire » est fréquent en consultation médicale de soins primaires pour gonalgie. Nous allons vous montrer ici que nous pouvons souvent le dédramatiser et éviter des examens complémentaires et iconographiques superflus, des arrêts d’activité sportive prolongés et des interventions chirurgicales inutiles. Le « syndrome de l’articulation tibio-fibulaire proximale » appelé aussi le « syndrome fibulo-tibial supérieur » (le SFTS, en hommage à notre société savante nationale) en est souvent l’étiopathogénie originelle, facile à diagnostiquer, à traiter et à prévenir.
Le tibia et la fibula s’articulent par leurs deux extrémités au niveau des articulations tibio-fibulaires proximale et distale. Ces deux articulations sont mécaniquement liées entre elles à l’articulation talo-crurale et à l’articulation du genou. (Figure 1)
L’articulation tibio-fibulaire proximale est une arthrodie qui met en contact deux surfaces ovalaires planes ou légèrement convexes.
La facette tibiale est située sur le pourtour postéro-latéral du plateau tibial. Elle est orientée obliquement en arrière, en bas et en dehors.
La facette fibulaire siège sur la face supérieure de la tête de la fibula. Son orientation est opposée à celle de la facette tibiale. Elle est surplombée par le processus styloïde de la fibula sur laquelle se fixe le tendon du biceps fémoral.
Le ligament collatéral fibulaire du genou s’insère entre le biceps et la facette articulaire.
La position de la tête de la fibula est très postérieure sur une vue latérale du genou.
Le ligament antérieur est court, quadrilatère et l’expansion du tendon du biceps va se fixer sur le condyle latéral du tibia.
En vue postérieure, il existe des rapports étroits entre le muscle poplité, l’articulation tibio-fibulaire proximale et le ligament postérieur de cette articulation.
Les deux os de la jambe sont réunis par le ligament interosseux fixé sur le bord latéral du tibia et la face médiale de la fibula. Ils protègent ainsi la cheville.
La flexion-extension de l’articulation talo-crurale entraîne automatiquement la mise en jeu des deux articulations tibio-fibulaires. Elles sont toutes les trois mécaniquement liées.
L’articulation tibio-fibulaire proximale subit le contrecoup des mouvements de la malléole latérale de la cheville.
Lors de la flexion dorsale de la cheville, la facette fibulaire glisse vers le haut et l’interligne baille en bas du fait de l’écart des malléoles et en arrière du fait de la rotation externe.
Lors de l’extension de la cheville, les mouvements sont
inversés : il existe un abaissement et une fermeture de l’angle et de la rotation interne.
Ces déplacements sont faibles mais non négligeables : cela est probablement lié à l’évolution de l’espèce humaine car l’articulation tibio-fibulaire supérieure n’est pas encore soudée, ce qui aurait fini par survenir si elle ne fonctionnait pas.
Ainsi, le jeu des articulations tibio-fibulaires et de la cheville assure la stabilité transversale de l’articulation talo-crurale.
Sur le plan biomécanique, l’incurvation de la joue latérale du talus fait que la pression sur la facette fibulaire est toujours perpendiculaire à sa surface, d’où la rotation automatique de la fibula sur son axe longitudinal et les contraintes au niveau de son articulation tibio-fibulaire proximale.
Mais le complexe tibio-fibulaire n’agit pas seulement pour protéger la cheville. Il agit également sur la biomécanique du genou et notamment sur la rotation automatique du tibia sous le fémur. Ainsi, un dysfonctionnement du complexe tibio-fibulaire peut entraîner un syndrome rotulien par hyperrotation externe du tibia et « un mauvais engagement » patellaire dans la trochlée fémorale lors de la flexion du genou. Une hypersollicitation du point d’angle postéro-interne est également constatée.
L’anamnèse est capitale et donne bien souvent le diagnostic avant l’examen clinique.
À bien interroger, il s’agit souvent d’une symptomatologie au début brutal à l’occasion d’un faux mouvement, en ratant un trottoir, une marche ou lors d’une séance sportive, en mettant par exemple le pied dans un trou.
On constate souvent un épisode d’instabilité minime de la cheville, sans séquelle, sans gonflement, sans ecchymose.
Dans les suites immédiates, une gonalgie apparaît. Elle peut durer plus ou moins longtemps.
Elle se réveille essentiellement lors des contraintes mécaniques de la rotule. Celles-ci sont surtout retrouvées lors du redressement après une position assise prolongée, une position accroupie ou à genoux, une marche ou une course prolongée.
Il y a rarement un épanchement intra-articulaire du genou, mais souvent une sensibilité au niveau du creux poplité pouvant témoigner d’une petite lame liquidienne intra-articulaire.
La douleur est parfois latéralisée, exceptionnellement médiane et systématiquement antérieure plutôt paramédiane médiale en regard de la patte d’oie. D’ailleurs, le diagnostic de tendinopathie ou « syndrome de la patte d’oie » est souvent retenu ou évoqué. Notre expérience fait penser qu’il s’agit souvent d’un syndrome secondaire à ce qui va vous être décrit.
Les traitements antalgiques ou anti-inflammatoires soulagent mais ne règlent pas définitivement la symptomatologie douloureuse.
Les différents examens complémentaires réalisés, qu’ils soient radiographiques, IRM, tomodensitométriques, arthro-tomodensitométriques ou arthro-IRM se révèlent bien souvent décevants et aucun diagnostic précis n’est porté en dehors d’une « dysplasie fémoro-tibio-patellaire ».
L’examen clinique met en évidence une douleur à la marche accroupie.
L’examen podologique révèle souvent une asymétrie podale, plus fréquemment un médio-pied valgus à prédominance du côté du genou symptomatique.
Mais d’autres anomalies morphologiques peuvent bien sûr se rencontrer. Un trouble de l’équilibre postural est systématiquement trouvé (il faudra y remedier). Une asymétrie d’examen clinique dans les territoires neurologiques L5 et S1 est fréquemment observée.
L’examen en décubitus ventral met en évidence une sensibilité au niveau du creux poplité témoignant d’une petite lame intra-articulaire par rapport au côté opposé. Ce signe est plus précoce qu’un choc rotulien.
Il existe une douleur à la partie postérieure de l’espace fémoro-tibial médian, témoignant d’une sensibilité du point d’angle postéro-interne et d’une sensibilité à la partie postérieure et médiane de l’articulation tibio-fibulaire supérieure.
La contraction contre résistance des muscles ischio-tibiaux dans différentes courses (interne, moyenne et externe) est sans particularité, aussi bien pour les muscles médians que pour le biceps fémoral.
En décubitus dorsal, il n’existe pas de laxité frontale ni en varus, ni en valgus.
Il est souvent décelé un léger genu recurvatum qui est généralement symétrique par rapport au côté opposé, souvent inférieur à 5 cm en distance talon / table.
Le test de Lachman-Trillat est négatif avec un arrêt dur, même s’il est parfois retrouvé une laxité antéro-postérieure liée à l’hyper-laxité constitutionnelle (ou « syndrome d’hypermobilité articulaire bénigne » – SHAB).
Les différents tests en tiroirs, rotation neutre, rotation interne et rotation externe se révèlent parfois sensibles notamment en rotation externe avec une douleur à la partie postérieure de l’espace fémoro-tibial médian.
Les tests dynamiques à la recherche de ressauts rotatoires sont négatifs.
La palpation, toujours effectuée en fin d’examen clinique pour ne pas perturber les tests cliniques précédemment décrits, est très contributive.
On trouve 3 zones douloureuses (triade clinique du SFTS) : (Figure 2)
Le reste de l’examen clinique local est souvent pauvre en informations.
Les radiographies confirment souvent le diagnostic. Les autres imageries (IRM, arthro-TDM, …) sont peu contributives.
En effet, de simples radiographies de genoux, en parfaite réalisation avec la superposition des corticales postérieures des deux condyles fémoraux de profil, permettent souvent de visualiser la « subluxation » de la tête fibulaire. Il existe une asymétrie de l’espace fibulo-tibial qui confirme la rotation du tibia sous le fémur avec sa conséquence sur l’appareil extenseur du genou et la « position patellaire » asymétrique de face. (Figures 3)
Il n’y a pas de chondromalacie, pas de lésion du pivot central ni d’atteinte franche au niveau méniscal. Parfois, il est décrit une lésion de la corne postérieure du ménisque médian qui n’est en fait qu’une hypervascularisation locale liée à la traction de la capsule postéro-médiane par le faisceau profond du ligament collatéral tibial dont l’explication biomécanique est relatée ci-dessous.
Sur le plan morphologique, il existe une rotation externe de l’axe jambier symptomatique par rapport au côté opposé, se traduisant par une « mauvaise position » patellaire clinique et / ou radiographique. Cela peut s’expliquer par une subluxation postérieure de l’articulation tibio-fibulaire proximale (la subluxation antérieure existe mais est beaucoup plus rare). Elle est compensatrice d’une subluxation talo-crurale et tibio-fibulaire distale.
De fait, l’axe jambier se retrouve en légère rotation externe et la rotule « mal positionnée » à l’engagement dans la trochlée fémorale. Du liquide synovial est produit pour « protéger » le cartilage d’encroûtement patellaire mal mis à contribution lors des mouvements de flexion-extension du genou. L’épanchement intra- articulaire de faible abondance s’évacue par le creux poplité, d’où la sensibilité postérieure souvent observée.
Cela peut aussi expliquer la douleur à la palpation de la pointe de la rotule, notamment sur son versant médian.
Cela peut expliquer également les contraintes de traction au niveau du point d’angle postéro-interne du genou par une mise en tension du faisceau profond du ligament collatéral tibial (anciennement appelé
« ligament latéral interne », à tort nommé actuellement par beaucoup « ligament collatéral médian ») qui fait partie du PAPI en s’insérant par ses fibres profondes en regard de la corne postérieure du ménisque médian. Un mauvais contrôle rotatoire de la jambe sous le fémur, par perturbation dans le territoire L5, pourrait en partie expliquer ce syndrome. Un point gâchette, ou trigger point (Figure 5), à l’insertion distale du tendon du biceps fémoral, sur son enthèse, et du ligament collatéral fibulaire peut également expliquer la symptomatologie latérale dans ce syndrome.
Après avoir expliqué au patient le « pourquoi » de la symptomatologie, il est proposé une manœuvre « réductrice », « manipulative » du genou.
Le sujet est en décubitus dorsal, tronc à 45°, au bord de la table d’examen. Le médecin manipulateur se place latéralement à la table. La main externe se place en coin dans le creux poplité, le pouce englobant la tête de la fibula. L’autre main vient saisir le 1/3 inférieur de la jambe, bloquant le bord latéral du pied contre le flanc du praticien.
Il suffit au médecin manipulateur, après quelques mouvements de flexion-extension du genou, mettant ainsi à l’aise le patient, de se pencher légèrement en avant pour obtenir une flexion forcée : la manipulation est ainsi réalisée. (Figures 4)
Cette manœuvre est en résumé une flexion forcée talon / fesse en mettant la main dans le creux poplité, l’index dans le creux poplité, le pouce au-dessus de la tête fibulaire. Elle permet généralement d’obtenir un claquement caractéristique, audible, légèrement douloureux mais qui dans les secondes qui suivent entraîne un soulagement indéniable du genou.
Les trois points caractéristiques (triade clinique du SFTS) de ce syndrome disparaissent immédiatement.
La palpation de l’articulation péronéo-tibiale proximale devient asymptomatique, ainsi que les douleurs au niveau de la pointe de la rotule et du point d’angle postéro-interne du genou qui disparaissent.
Pour conforter la guérison et (re)donner confiance au patient, des tests fonctionnels sont immédiatement réalisés. Des sauts, par exemple du marchepied, avec réception au sol en appui bipodal, puis en appui monopodal sur le membre inférieur sain, puis sur le membre inférieur initialement symptomatique, rassurent le patient.
La marche accroupie se fait sans aucune douleur.
La course à pied sur place est totalement asymptomatique.
La montée et la descente des escaliers sont asymptomatiques ou nettement moins douloureuses.
Le patient se rend compte que sa symptomatologie n’est plus présente ou se trouve très nettement atténuée. La gonalgie légère, parfois observée en fin de consultation médicale, diminue pour disparaître en quelques jours, délai nécessaire pour le drainage de l’épanchement de faible abondance intra-articulaire.
Il retrouve généralement un grand sourire en fin de
consultation ; des pleurs de joie sont souvent observés.
Il lui est alors expliquer une manœuvre simple qui permet d’effectuer une « autoréduction » de cette subluxation postérieure de l’articulation tibio-fibulaire proximale, décrite ci-dessous.
En se mettant accroupi, les pieds bien élargis, talons surélevés et en mettant ses mains dans les creux poplités (index dans le creux et pouce au-dessus de la tête fibulaire), le tronc si possible vertical, il est demandé d’effectuer une impulsion des fesses vers le sol (les talons) ce qui entraîne une sensation de petit claquement (audible) sur la face latérale du genou. La « réduction » de cette laxité tibio-fibulaire proximale postérieure de l’articulation tibio-fibulaire fait ainsi disparaître immédiatement la gonalgie.
La même manœuvre peut se réaliser à genoux au sol ou sur une surface molle (lit ou moquette). Les mains sont positionnées à l’identique de ce qui vient d’être décrit. Les genoux écartés, l’autoréduction se fait en s’asseyant brutalement sur ses talons.
Cette manœuvre peut être répétée autant de fois que nécessaire, parfois plusieurs fois par jour, en cas d’instabilité fréquente.
L’analyse posturale retrouve souvent une perturbation podale, dentaire et/ou orthoptique. Une prise en charge spécifique sur ces trois paramètres est souvent nécessaire.
Concernant les orthèses plantaires, il est demandé au podologue de réaliser des orthèses qui devront limiter la rotation externe du pied homolatéral à la gonalgie, afin d’éviter le recul postérieur de la tête fibulaire lors de la marche, la course et les réceptions au sol. Des orthèses correctrices et proprioceptives devront être portées dans toutes les chaussures de vie quotidienne et d’activités sportives en appui plantaire.
Concernant l’appareil manducateur, une parfaite occlusion dentaire devra être effectuée.
Quant à l’analyse ophtalmologique, si souvent perturbée chez les jeunes et les moins jeunes présentant un SFTS, une rééducation spécifique sera prescrite en fonction du trouble orthoptique observé.
Le syndrome fémoro-patellaire sans instabilité est fréquemment rencontré. Jacques Rodineau parle même de « syndromes patellaires » en différenciant plusieurs tableaux cliniques : commun, post-contusif, de surmenage ou psychogénique.
Malgré un démembrement clinique et radiographique bien détaillé dans la littérature scientifique, bien repris par Marc Raguet dans sa vidéo sur l’examen de la rotule lors de la 35e Journée de traumatologie du sport de la Pitié-Salpêtrière, le syndrome rotulien pose encore le problème de sa prise en charge thérapeutique.
L’examen de l’articulation tbio-fibulaire proximale est rarement évoqué. Il devrait pourtant faire partie intégrante de l’examen programmé du genou.
Celui-ci permet d’éliminer une pathologie ménisco-ligamentaire ou une instabilité fémoro-patellaire frontale et/ou sagittale.
La découverte des trois points douloureux et exquis, caractéristique du syndrome SFTS ici décrit, pourrait dans de très nombreux cas permettre un diagnostic sur cette douleur « étrange » souvent inexpliquée sur le plan de la physiopathologie.
Les signes radiographiques évoqués ici, rarement recherchés ou décrits par nos confrères radiologues, permettent de « mettre une image » pour expliquer la douleur.
La prise en charge thérapeutique du SFTS au cours de la consultation médicale avec des résultats immédiats sur la douleur est à connaître et, si parfois elle n’est pas totalement efficace, elle n’engendre jamais d’aggravation de la symptomatologie douloureuse.
La prise en charge psychologique du syndrome rotulien douloureux non instable, souvent longue et complexe, est alors beaucoup plus simple et n’a plus de raison d’être poursuivie avec le soulagement du patient.
Une prise en charge globale, comme toujours en médecine de soins primaires mais plus spécifiquement en médecine de l’appareil locomoteur, est nécessaire en insistant sur l’analyse des perturbateurs de l’équilibre postural : les pieds, les dents et les yeux.
Le syndrome rotulien peut être dédramatisé.
Largement décrit dans la littérature, parfois géré jusqu’à une prise en charge chirurgicale, son association avec un syndrome fibulo-tibial supérieur (SFTS) est rarement évoqué.
Pourtant, si le SFTS est confirmé par sa triade clinique caractéristique, il éviterait des prises en charge inutiles d’iconographie et de chirurgie chez des sportifs jeunes et moins jeunes sportifs laxes qui ne sont pas forcément hyperlaxes.
Le diagnostic d’instabilité minime de l’articulation talo-crurale compensée par une instabilité minime des articulations tibio-fibulaires distale et surtout proximale (supérieure) est aisé sur le plan clinique.
Le SFTS doit être connu, reconnu et traité simplement par une prise en charge en médecine manuelle.
La manœuvre d’autoréduction, facile à enseigner et à réaliser en cas de nécessité, permet dans la grande majorité des cas de lever la gonalgie du syndrome rotulien.
Une prise en charge plus globale des troubles posturaux est souvent nécessaire pour éviter des récidives de syndrome rotulien.
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