Les femmes ont deux métiers : leur travail et leur famille ! Les sportives en ont trois ! Il faut ajouter l’entraînement ! Associer ces trois missions constitue déjà une performance ! Dans ce contexte, trop d’exigence et trop de perfectionnisme se révèlent rapidement délétères pour la santé. Explications et conseils !
Le stress a été décrit par le Docteur SELYE. Il se définit comme « la réaction physiologique non spécifique de l’organisme nécessaire à son adaptation face à un changement ». Deux mots méritent plus d’attention dans le cadre de notre réflexion. « Changement » : on perçoit déjà qu’une prestation multitâche se montre particulièrement sollicitante pour les systèmes physiologiques. « Non spécifique » signifie que la réponse biologique est identique quel que soit l’agresseur. Ainsi, les sollicitations professionnelles, familiales et sportives s’associent pour épuiser les filières neurologiques et hormonales concernées. Ces dernières correspondent à la sécrétion des catécholamines et du cortisol.
La première catégorie inclut la noradrénaline et l’adrénaline. La noradrénaline est un messager excitateur assurant la transmission entre les neurones, elle augmente la vigilance, les aptitudes cognitives et l’agressivité.
L’adrénaline est une hormone libérée dans le sang pour accélérer le cœur, réduire le diamètre des vaisseaux sanguins, augmenter la tension artérielle, libérer des sucres et des graisses destinés à produire de l’énergie. Elle est synthétisée par une glande située au-dessus des reins appelée « surrénale ». Elle vient plus exactement de la médullosurrénale qui se situe au milieu de cet organe.
Le cortisol est synthétisé en périphérie de cette même glande, dans un secteur nommé « corticosurrénale ». Si les catécholamines assurent une adaptation à court terme, le cortisol prend en charge les changements sur le long terme en transformant notamment les protéines musculaires en sucre pour en faire de l’énergie. Les catécholamines sont les messagers du stress aigu et le cortisol, celui du stress chronique.
À force d’être mises à contribution, ces filières neuro-hormonales s’épuisent et ne parviennent plus à répondre à de nouvelles demandes d’adaptations vitales. Des études menées sur des rats stressés par une surpopulation, de la natation et des infections montrent qu’ils vont jusqu’à mourir non pas d’envahissement microbien mais suite à une nécrose de la glande surrénale.
Bien avant que nos vies aient été envahies par les téléphones mobiles, les mails et les notifications en provenance des réseaux sociaux, le chef de service en cardiologie qui m’a formé nous prévenait de la dangerosité des tâches multiples. Riche de son expérience et de manière intuitive, il nous disait : « Un médecin généraliste de campagne qui travaille 12 heures par jour a peu de chance de faire une crise cardiaque. Mais, s’il est aussi maire de son village, le risque augmente considérablement. » Et il complétait, goguenard : « Et l’infarctus est inévitable, s’il y ajoute une maîtresse ! »
Précisons d’emblée que nous utilisons le terme « médiocre » dans son sens étymologique : médium pour dire « moyen » ! Et, les explications qui vont suivre vont vous permettre de constater que faire un peu de sport optimise déjà bien la performance.
En effet, à l’entraînement, la progression initiale est rapide et linéaire. Le processus est si satisfaisant que vous avez envie de continuer à améliorer vos chronos. Malheureusement, après quelques mois la courbe s’aplatit. Ce n’est pas parce que vous allez doubler votre charge de travail que votre performance sera multipliée par deux ! Vos chronos évoluent désormais sur une asymptote correspondant à vos aptitudes génétiques. Votre marge de progression est de l’ordre de 20 % et une préparation scientifique et intensive ne fera pas de miracle !
Vous doutez de cette réalité physiologique décourageante ? Si ce phénomène existe à l’échelle de chaque individu, il est parfaitement connu au niveau de l’espèce ! Vous n’êtes pas sans savoir qu’ELIUD KIPCHOGE est passé récemment sous la barre des 2 heures sur 42 kilomètres 195 mètres. Il a fallu un circuit ultraplat, des lièvres ravitailleurs, un faisceau laser destiné à lui indiquer le rythme parfaitement régulier et une voiture électrique de la marque Tesla le protégeant de la résistance de l’air pour qu’il parvienne à briser l’asymptote de l’espèce humaine sur la distance reine du marathon !
Pire que de constater un essoufflement de votre progression, tenter d’atteindre le sommet de la forme mène souvent à redescendre du côté du surentraînement. Bref, l’asymptote devient assez vite une pente descendante !
En pratique, il est vivement conseillé de ne pas s’épuiser au-delà de la fraction linéaire de l’amélioration. Si vous poursuivez votre effort, les résultats sont mineurs alors que l’investissement est très énergivore. Finalement, ce constat physiologique n’est pas décourageant, il est au contraire particulièrement pertinent pour les sportifs ne cherchant pas de médaille olympique. Entraînez-vous moins et vous régresserez très peu ! Et, si vous êtes fatiguée, à la limite du surentraînement, cette réduction de charge de travail vous permettra même de progresser !
Pour des compétitions raisonnables allant du 10 kilomètres course jusqu’au semi en passant par des triathlons S ou XS, trois entraînements par semaine semblent constituer la charge de travail optimum. À cette dose, les bénéfices santé sont optimisés : prévention cardio-vasculaire, renforcement de l’appareil locomoteur ou énergie cognitive !
Si vous y consacrer 30 à 60 minutes à chaque séance et peut-être un peu plus le week-end, vous y passez 3 à 6 % de votre temps éveillé ; voilà qui reste raisonnable et vous permet de dégager de bons moments pour vos autres activités sans y adjoindre un gros stress organisationnel !
Bien évidemment, ces trois sessions hebdomadaires de sport n’imposent pas de participer à des compétitions. Faire de la Zumba, participer à des cours de fitness, pratiquer le cardio-training ou la musculation à cette fréquence procurent les mêmes bénéfices.
Sachez également qu’à partir de 7 heures de sport par semaine, les études montrent une lente décroissance des bienfaits. Alors, soyez raisonnable, restez en équilibre juste au sommet de la portion linéaire de votre progression !
Si par hasard, il vous arrivait de manquer d’assiduité, les avancées récentes de la science sont désormais à votre disposition pour vous rassurer. On sait depuis longtemps que la performance est à forte composante génétique, c’est le « génotype ». Il est également connu que ce dernier s’exprime dans la cellule à l’aide de protéines plus ou moins efficaces, c’est le « phénotype ».
À l’arrêt d’un entraînement régulier, on constate que le phénotype s’altère rapidement alors que, bien sûr, le génotype reste inchangé. Pourtant, on avait du mal à expliquer la récupération rapide d’un bon niveau chez les anciens sportifs ! Pour décrire ce phénomène, la médecine du sport a même été contrainte à un néologisme absent du correcteur d’orthographe de Word, il s’agit de « l’entraînabilité ». Désormais, on explique plus aisément ce constat ; le processus est d’ordre épigénétique. Il s’agit de la régulation de l’expression des gènes permise par la modulation de la structure de votre ADN, à l’approche de la zone codant pour la protéine.
Ainsi, au moindre signal biologique, cette dernière est produite en quantité variable en fonction de votre passé métabolique. De fait, l’épigénétique est bien plus stable que l’expression phénotypique au sein de la cellule. Néanmoins, il lui faut de nombreuses années d’entraînement pour se mettre en place et elle finit par s’éroder en cas d’arrêt prolongé, supérieur à une durée de 6 à 12 mois.
Médecin du sport, je me permets de dévier quelque peu de mon cœur d’expertise car bon nombre de processus physiologiques et psychologiques sont voisins. En effet, si le surentraînement est sportif, le burn-out professionnel et la dépression souvent familiale et affective, les phénomènes biologiques intracérébraux et hormonaux sont cousins ! Pourquoi pas frère et sœur ou même jumeaux ! Souvenez-vous que SELYE a décrit le stress comme une réaction neuroendocrinienne « non spécifique »!
Dans l’accomplissement d’une tâche, on retrouve inévitablement le phénomène de l’asymptote. Dans les premiers temps, vous avancez rapidement. Puis, au fur et à mesure que vous peaufinez votre travail, il s’améliore de moins en moins.
Un dossier, un rapport, une présentation PowerPoint, la rédaction d’un mail… ou d’un article obéissent à cette règle. Si je passe deux heures à relire douze fois mon papier, je modifierai probablement encore un mot ou une virgule mais il est peu probable que vous, lectrice, vous perceviez une différence.
Alors, comme disent les psys, il faut enclencher le « lâcher-prise », renoncer à la perfection, abandonner plus rapidement cette tâche pour en débuter plus efficacement une autre. À moins que vous vous arrêtiez pour vous rendre à l’entraînement ou pour aller vous reposer…
À mi-chemin entre neurologie et sociologie, une réflexion sur la gestion des tâches multiples s’impose. Mails, SMS, téléphone et réseaux sociaux viennent solliciter votre système nerveux central alors même qu’il se concentre sur un autre sujet.
La médecine évolutionniste nous renseigne sur l’adaptation de notre organisme à notre milieu. Elle est très appréciée des scientifiques anglo-saxons. Elle nous rappelle qu’il y a seulement 10 000 ans nous pratiquions la chasse et la cueillette. Nous étions silencieusement tapis dans la forêt à surveiller une proie. Concentré, nous réfléchissions à la meilleure stratégie pour lui porter le coup fatal !
Regardez un chat immobile ou un chien d’arrêt s’apprêtant à bondir sur un gibier. Pour gagner en efficacité, tous ces êtres vivants ne pensent qu’à une seule chose en même temps !
Les neurobiologistes nous apprennent qu’il est impossible de traiter deux sujets simultanément. Inévitablement, nous bloquons la première tâche enclenchée et nous réactivons vigoureusement le réseau de neurones impliqué dans la seconde. Ces phénomènes cellulaires et biochimiques sont particulièrement dispendieux en messagers moléculaires. Ils épuisent nos neuromédiateurs.
On a évalué à 64 secondes le délai moyen nécessaire pour se concentrer à nouveau sur le sujet ponctuellement délaissé. En clair, vous perdez une minute à chaque fois que vous changez de tâche ! Il vous reste à évaluer le temps que vous dilapidez chaque jour. L’arrivée des mails est emblématique de cette perturbation neurobiologique incessante et épuisante.
Bon nombre de sociologues ont constaté que la productivité des entreprises n’a pas augmenté depuis l’apparition de ce mode de fonctionnement. L’efficacité apparente est largement affectée par le temps consacré à la gestion subtile de la communication en interne.
Son utilité est aussi largement érodée par la surenchère d’informations chronophages et sans intérêt majeur pour mener à bien votre cœur de mission. Pire, pour les plus consciencieuses d’entre vous, les mails vous imposent vigilance et réactivité le soir et le week-end : une hérésie biologique que de ne pas donner à son cerveau le temps de récupération indispensable.
Thierry Breton, ancien ministre de l’Économie, ancien président d’Air France et désormais PDG d’Atos a déclaré la guerre aux emails. Il considère les courriels comme de la « pollution informationnelle ». Il aime à dire que « les managers ne gèrent plus leurs équipes mais leurs boîtes mail ».
Les anecdotes allant dans ce sens foisonnent parmi mes patients décideurs dans le monde de l’entreprise. Il y a bien longtemps déjà, une big boss au sein d’une entreprise de télécommunication me racontait : « Quand je reviens de vacances, je supprime la totalité de mes mails. Ce qui est important me revient obligatoirement. »
Un responsable d’audit me disait : « Chacun se couvre en rédigeant consciencieusement des emails à son supérieur et ce dernier ne lit que les emails de son supérieur ! Cherchez le bug ! » Beaucoup m’ont dit : « Désormais, j’envoie un SMS pour indiquer à mes collègues que je leur ai fait parvenir un mail important ! » À quand le coup de téléphone pour informer du SMS ?
Alors, quelles sont les astuces proposées par les sociologues et les psychologues ? Programmez un maximum de moments strictement monotâches : pas de mails, pas de téléphone, pas de réseaux sociaux. Prévoyez un temps limité pour la gestion de ces moyens de communication. Si vous avez la chance de bénéficier d’un assistant de confiance, demandez-lui de procéder à une sélection drastique. Ne répondez pas aux mails pour lesquels vous n’êtes qu’en copie. « Mailez-vous de vos affaires »!
Pour un retour rapide et efficace, pensez qu’un bon mail tient dans l’objet. Intégrez aussi que celui qui reçoit votre mail tente de faire au plus vite. Alors, n’hésitez pas à écrire : « En l’absence de réponse je me permettrai de faire comme ça ! » Tout le monde gagne du temps et les choses avancent. Enfin, pour réduire le nombre de mails que vous recevez, la méthode la plus efficace consiste à en envoyer beaucoup moins ! Vous gagnez du temps à l’entrée et à la sortie !
À la maison comme au boulot, déléguer constitue une stratégie indispensable pour gagner du temps et réduire la fatigue. Ce mode de fonctionnement impose de renoncer à la perfection. Si vous en donnez la consigne, les actions seront menées à « bien »… mais probablement pas à
« très bien » ! En tout cas, le résultat sera différent de celui auquel vous seriez parvenue. Qu’importe ! Là encore les psys recommandent le « lâcher-prise ».
N’allez pas peaufiner ce travail sous prétexte d’amélioration ; surtout n’interrompez pas celui qui s’y essaye maladroitement pour terminer à sa place… Cette réaction se montre particulièrement délétère avec les enfants… et avec les conjoints… qui tentent de s’investir dans l’organisation de la maisonnée. À l’avenir, ils risquent d’abandonner par crainte de mal faire ! Certains pourraient même utiliser le prétexte de votre insatisfaction pour renoncer définitivement…
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