Dernier espace sauvage, la montagne séduit mais impose ses contraintes. Par-delà le froid, la météo capricieuse et contrastée, le rayonnement solaire (UV), l’isolement et la sécheresse de l’air, la contrainte majeure reste l’hypoxie d’altitude.
Par le Docteur Sophie Duméry, membre de la commission médicale de la FFRandonnée
La randonnée en altitude n’est pas une préparation sportive mais l’aboutissement d’une longue préparation. Sauf à habiter/séjourner sur place (randonnée en étoile), il s’agit d’une itinérance (plusieurs jours, semaines ou mois) qui s’organise longtemps à l’avance pour limiter les risques encourus et progresser dans la bonne humeur ; d’autant plus nécessaire qu’elle renforce la réactivité aux aléas et la survie en cas d’incident majeur.
La pression de l’atmosphère est maximale au niveau de la mer (760 mm de mercure) mais la part d’oxygène (O2) n’y est que de 20,9 % soit 159 mm de mercure : le reste est de l’azote (N2) pour 76 %, puis de la vapeur l’eau et du gaz carbonique (CO2). Plus on monte plus on perd en pression gazeuse totale et en pression d’oxygène ambiant.
La concentration artérielle chute en conséquence ; le corps y réagit par des mécanismes adaptatifs multiples, rapides et lents. On parle d’acclimatation maximale au-delà de 30-35 jours à l’altitude visée. Mais elle a des limites qu’aucune stratégie randonneuse ne peut remplacer.
La baisse d’oxygène altère le métabolisme très majoritairement oxydatif, c’est-à-dire aérobie (énergie produite à partir des nutriments en présence obligatoire d’O2). La performance maximale aérobie (endurance maximale) chute de 5 % à 2 000 m, de 15 % à 3 000 m et de 80 % à 88 00 m (mont Everest).
Il faut donc se préparer à un séjour prolongé au-delà de 2 000 m, référence habituelle pour parler « altitude » en général ; la haute altitude commençant à 3 500-4 000 m et la très haute altitude à
5 000-6 000 m selon les auteurs.
Contre-intuitivement, plus on est entraîné en endurance plus l’altitude réduit la performance personnelle. En effet, les cellules entraînées ne sont plus du tout habituées à fonctionner en manque d’oxygène et le rendement énergétique chute (voir schéma). La préparation physique en résistance, en effort sous-maximal (avec essoufflement), est en conséquence indispensable.
Si l’hypoxie ambiante impose une réduction drastique de l’effort endurant, le randonneur d’altitude doit élaborer soigneusement son itinéraire en fonction de ses capacités.
La marche à « plat » est la plus économe en oxygène au niveau de la mer comme en altitude, mais la vitesse se réduit au prorata de cette altitude et du poids du randonneur. S’il veut augmenter son autonomie, le marcheur doit rester le plus léger possible pour diminuer ses exigences cellulaires en oxygène.
Le harnachement (vêtements, chaussures, sac) impose un surpoids brutal (voire une obésité) traumatisant pour le squelette, qui effondre la performance aérobie. Car la consommation d’oxygène dépend du temps et du poids du corps : elle s’exprime en ml d’O2 par minute et par kg de poids total en charge (habillement, chaussures, sac, bâtons). En altitude, ce poids total est critique, car il n’y a pas ou peu de place pour l’improvisation. On peut y jouer sa vie.
Le corps compense automatiquement le coût énergétique de la marche, la foulée et la vitesse (quelles que soient les conditions). En conséquence, la surcharge modifie le rendement énergétique, toujours à la baisse ! On passe de 4 km/h sans charge à 3,5 km/h avec charge. Chaque ajout de 10 % de masse modifie le déroulement du pas, ajoutant des tensions traumatisantes. Le poids d’équipement idéal n’atteint pas 10 % du poids du corps
nu : une gageure en altitude quand il détermine le degré d’autonomie.
Plus le trajet dure, plus la surcharge doit être faible pour limiter les incidents liés à la fatigue. Un équipement à 20 % du poids corporel est le maximum tolérable en matière de sécurité et pour des durées inférieures à 6-7 heures.
Si l’oxygène ambiant est en accès « public », son parcours dans l’organisme est semé d’obstacles individuels « privés » : pathologies diverses et caractéristiques individuelles. La somme de ces obstacles au transport de l’oxygène jusqu’aux cellules détermine l’altitude à ne pas dépasser.
L’âge n’est pas un facteur prédisposant à l’intolérance hypoxique, ni le sexe, ni le poids. En revanche, des antécédents de mal des montagnes (MAM) ou ses prémices, des antécédents de migraines, de maladies cardiaques et respiratoires, une anémie, la grossesse, imposent une consultation médicale (spécialisée dans la pathologie concernée si nécessaire) et une consultation de médecine de montagne en milieu hospitalier avec un plateau technique adapté.
Celles-ci ne sont pas légalement remboursées par l’Assurance Maladie dans le cadre du loisir : on y pratique un test d’effort en hypoxie (altitude simulée). Elles sont conseillées dès qu’on monte au-delà de 3 500 m ; à cette hauteur la descente rapide est généralement à risque accru en milieu isolé et hostile. Vingt-deux consultations de médecine de montagne sont recensées sur le territoire par l’ARPE (Association pour la Recherche en Physiologie de l’Environnement, www.arpealtitude.org).
Chez les sportifs le meilleur de la performance est obtenu par l’hypoxie intermittente : 8 ou 10 heures de randonnée de jour avec nuit de repos en dessous de 2 000 m. Mais un trek andin ou une randonnée en haute montagne n’offrent pas de tracés avec cette option. L’adaptation à moyen terme à l’hypoxie nécessitant au moins trois semaines, il faut s’offrir de grandes vacances sur place ou accepter la réduction des performances et concevoir l’itinéraire en conséquence.
Pour toute personne en bonne santé, l’effort maximal est abaissé dès 1 000 m et l’effort sous-maximal (essoufflement permanent à l’effort) dès 2 000 m. A 3 000 m le sommeil et l’appétit s’altèrent et réduisent la réactivité aux événements. Le mal des montagnes guette un grimpeur sur deux. Il est banal à 4 000 m avec risque d’œdème pulmonaire et/ou cérébral, fatals si l’on n’économise pas sévèrement ses forces. À très haute altitude (5 000 m et plus) il n’est pas possible de résider plusieurs semaines.
Les randonneurs sans expérience de l’altitude peuvent se tester sur une semaine préparatoire entre 2 000 et 3 500 m en pratiquant un effort physique modéré à intense (ski, marche, alpinisme, escalade) pour en observer les effets. Perte d’appétit (nausée), insomnie, mal de tête en casque qui ne cède pas au paracétamol ni à l’aspirine sont des signes d’intolérance à l’hypoxie. Il faut réviser ses ambitions et adapter sa randonnée à ses capacités, jamais l’inverse.
Prise de médicaments préventifs contre les effets de l’hypoxie
Le mal aigu des montagnes (MAM) résulte de la désaturation du sang en oxygène. La conséquence en est un œdème (gonflement des organes avec réduction du volume des urines) : c’est au visage (nez, joues, yeux) qu’il est seul bien visible quand on est harnaché « montagne ». Cette réaction est d’autant plus vive qu’on demande un effort plus important à l’organisme, il faut donc réduire la vitesse surtout, mais aussi la durée et la distance. Certaines personnes réagissent mal dès 1 500 ou 1 800 m. D’autres sont gênées au repos dès 1 500 m.
La gravité du MAM s’évalue avec le score de Hackett (tableau) que chaque marcheur d’altitude doit connaître sur le bout des doigts. Quand les signes persistent à altitude stable pendant plus de 3 jours, il faut descendre. Si l’on continue de monter malgré un MAM modéré, on risque l’œdème cérébral (OCHA) et/ou l’œdème pulmonaire de haute altitude (OPHA) qui tuent. Sauf à trouver de l’oxygène rapidement (bouteilles ou caisson hyperbare, pas faciles à caser dans le sac), il faut vite redescendre : 500 m en moins peuvent suffire à effacer le MAM. Ne jamais hésiter à appeler les secours (15 ou 112), un décès par « politesse » serait idiot…
Score de Hackett – Mal aigu des montagnes (MAM)
Additionnez les signes pour obtenir le score MAM
(sous la barre).
Signes | Points |
Céphalées (maux de tête) | 1 |
Anorexie (perte d’appétit), nausées | 1 |
Insomnie | 1 |
Vetiges | 1 |
Maux de tête résistant aux anti-douleurs (paracétamol, aspirine) | 2 |
Vomissments | 2 |
Essoufflement au repos | 3 |
Fatigue anormale, intense | 3 |
Diminution du volume des urines | 3 |
MAM léger bénin | 1 à 3 |
MAM modéré | 4 à 6 |
MAM sévère | au-dessus de 6 |
La baisse de l’hygrométrie accélère la perte d’eau pulmonaire (respiration) ; les boissons doivent être augmentées en conséquence. Les efforts supplémentaires augmentent la perte par sudation nécessaire à la thermorégulation corporelle, surtout quand les itinéraires sont mal calculés en allure, durée ou distance. La soif n’est pas un bon critère : il manque un demi-litre d’eau quand elle se manifeste. La perte d’1 % du poids corporel diminue de 10 % la performance maximale (VO2 max). Sous les 75 % de la VO2 max, c’est-à-dire effort strictement aérobie (sans essoufflement), une légère déshydratation n’est pas désastreuse mais gare ! Le milieu accidenté exige de la vigilance…
Il faut pouvoir uriner toutes les 5-6 heures. L’urine étant sacrifiée en premier par l’organisme, sa raréfaction est LE repère facile à suivre qui ne ment pas (en dehors des maladies affectant les reins). On boit donc sans soif un verre d’eau toutes les demi-heures, plus ou moins selon les circonstances. Tisane ou thé sucrés chauds sont agréables, mais la bouteille thermos pèse dans le sac : à éviter si vous passez par des gites avec eau chaude au quotidien.
Les boissons « techniques » ne sont pas nécessaires et abîment les dents si on ne les rince pas avec une gorgée d’eau ; mais la collation énergétique toutes les deux heures, oui. Pas de déjeuner véritable, le repas complet se prend à l’étape, au chaud, en sécurité, le soir. Le petit déjeuner est un repas intermédiaire, assez copieux sans entraîner d’effort de digestion (donc très glucidique).
La conjugaison air sec et froid favorise l’asthme réactionnel à l’hyperventilation d’effort. Très présent en milieu sportif (course, trail), ce spasme bronchique ne doit pas survenir chez un randonneur en allure aérobie stricte (sous 75 % de la VO2 max). Les asthmatiques/rhinitiques allergiques avérés bénéficient en altitude de la raréfaction des pollens, acariens, et autres allergènes. Ce qui ne les dédouane pas de suivre avec rigueur leur traitement de fond. Ce qu’ils sont pourtant nombreux à négliger !
L’exposition plus importante aux rayonnements ionisants augmente le risque de brûlures solaires, surtout si les UV sont réverbérés par la glace et la neige. Enfin, si haut qu’on monte, il reste assez d’atmosphère pour avoir du mauvais temps. L’hypothermie et les gelures n’épargnent pas les trekkeurs expérimentés.
Les bâtons de marche télescopiques de randonnée n’ont pas que des adeptes (voir Marche nordique page 10) mais gardent des usages bien utiles en dénivelé… et pour d’autres raisons, comme se défendre contre les chiens agressifs. En randonnée « sauvage », cela sert à sécher le linge, calfeutrer des fenêtres, ouvrir des portes, apprécier la stabilité des ponts de neige. « Ça fait tout ! », même soulager l’effort et assurer les pentes.
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