La marche nordique n’est pas de la randonnée, mais elle y prépare bien le corps et la posture. Plus l’ambition sportive est grande, plus cet entraînement est souhaitable. Sa technique se distingue totalement de la marche avec bâtons, le matériel est différent, comme son usage.
Dr Sophie Duméry, membre de la commission médicale FFRandonnée
Souvent raillés, les marcheurs qui promènent deux bâtons en prétendant au style scandinave n’ont, pour la plupart, jamais distingué leur usage en randonnée et en marche nordique. Car cette dernière ne s’apprend ni dans les livres, ni par tutoriel vidéo.
Ce retour à la quadrupédie (4 appuis au sol) ne va pas de soi. Les formateurs expérimentés sont tous formels : 4 à 5 séances, au moins, sont nécessaires avec un coach pour acquérir les bons gestes et l’expérience du matériel.
Bons gestes qu’on ne conserve que par la pratique au moins hebdomadaire et des remises à niveau régulières en séances encadrées pour éviter le relâchement technique. Les séances sont préférables en groupe pour profiter de sa dynamique et de sa convivialité.
La marche nordique (MN), inventée comme entraînement estival des skieurs de fond finlandais, puis officialisée en 1997, a rapidement séduit le monde sportif ; cependant elle ne souffre pas d’approximation pour produire ses bénéfices. Quoique n’étant pas fédération sportive délégataire, la FFRandonnée a développé sa formation face à la demande exponentielle de licenciés désireux d’une marche plus sportive dans un cadre plus urbain avec des durées restreintes.
La technique nordique est quasi exclusivement propulsive. La part d’appui sur les bâtons est minime, pas plus de 10 % selon Jean-Bernard Sibour, formateur MN à la FFRandonnée. C’est la hauteur de la main tenant le bâton qui détermine mécaniquement la chose.
Pour être en propulsion, elle doit se situer au-dessous d’une ligne horizontale passant par le nombril. Pour abaisser le niveau de la main sous cet axe, il faut redresser le tronc. C’est un travail d’adaptation posturale qui surprend les organismes sédentaires et affaissés.
Le dos est rectiligne de la nuque au bassin mais respecte les courbures naturelles de la colonne vertébrale sans rigidité ni crispation, fréquentes chez les néophytes soucieux de bien faire.
Le tronc est légèrement penché en avant pour aligner la cuisse et la jambe arrière avec le dos. Le déplacement est un travail fluide, calqué sur la physiologie du pas.
Si l’on positionne la main au-dessus du nombril, la poussée sur le bâton est très majoritairement un appui de soutien, vertical vers le sol et non oblique arrière en propulsion.
En randonnée, la plupart des marcheurs se servent ainsi des bâtons. En Rando Santé (offre de la FFRandonnée destinée aux personnes ayant des performances diminuées transitoirement ou durablement), cet usage des bâtons est recommandé pour sécuriser la marche.
Il soulage les genoux douloureux et stabilise les équilibres défaillants. Sans cela, nombre de randonneurs diminués et/ou craintifs ne seraient pas sortis de chez eux.
Toutefois, l’usage permanent des bâtons en soutien donne de mauvaises habitudes, comme le constate Françoise Bernage, formatrice MN à la FFRandonnée. Ce mouvement contraire à ce qui est demandé en marche nordique peut en freiner l’apprentissage.
Puisque la hauteur de la main est essentielle, la hauteur des bâtons l’est aussi. Un moyen simple est de choisir ceux qui, au repos en position verticale devant soi, permettent de garder une flexion du coude supérieure à 90°.
Ces bâtons « nordiques » sont d’un seul tenant, jamais télescopiques comme c’est le cas des bâtons de randonnée ; ils ne peuvent donc pas être ajustés à l’individu. Leurs dimensions sont standardisées tous les 5 cm. Françoise Bernage recommande de ne pas se fonder sur une méthode de calcul de longueur, car elle ne tient pas compte des morphologies « excentriques », comme des torses longs avec des jambes courtes.
Prendre la longueur inférieure à la hauteur calculée en standard est toujours préférable à la longueur supérieure, afin de garder une bonne extension du bras (supérieure à 90°¨comme stipulé plus haut). La pratique de la MN en club est intéressante, car on y prête le matériel, auquel on se familiarise avant de se lancer dans un achat.
L’attaque du sol par le talon est fondamentale, car 1) elle empêche de courir, ce qui est interdit par la technique ; 2) elle détermine le déroulement du pas vers le bassin et les fesses, sans bloquer le genou (contrairement à la marche athlétique). Facile ? Pas vraiment. Jean-Bernard Sibour note fréquemment des attaques du sol en médio-pied ou par la pointe, à rectifier parfois laborieusement.
Outre l’indispensable redressement du bassin, il faut effacer son balancement latéral (naturel aux femmes – caractère sexuel secondaire) et ses oscillations verticales. Le seul balancement autorisé se fait d’avant en arrière (rotation du bassin dans un plan horizontal). Autant d’obstacles à surmonter pour aborder « sereinement » la coordination bras/jambes que seul permet un bassin bien redressé… mais pas trop ! Sinon, on risque de pincer excessivement le disque entre la 4e et la 5e vertèbres lombaires (fréquent chez les débutants).
A cette étape, il faut rectifier l’opinion courante. Il n’est pas naturel d’accentuer le balancement croisé des bras et des jambes à la marche. Jean-Bernard Sibour rappelle que la bipédie de l’espèce humaine est marquée par la dominance des jambes sur les bras, réduits à la fonction de balancier.
En randonnée, les jambes donnent la cadence, les bras suivent. Pratiquer la marche nordique, c’est redonner de l’autorité aux bras qui dirigent le mouvement et ses changements de direction, sinon le marcheur chute en se prenant les pieds dans ses bâtons.
L’enjeu consiste à bien installer la coordination droite/gauche avant de s’occuper de la coordination haut/bas. L’équilibre dynamique de la propulsion en dépend. Et sa vitesse !
Toute accélération détériore la qualité et surtout la coordination du mouvement. En conséquence, la parfaite maîtrise technique est nécessaire avant d’envisager une compétition, ou une allure « championne ». Chaque personne a, en fonction de sa maîtrise technique, une vitesse de déplacement optimale, rappelle Françoise Bernage.
La meilleure propulsion consiste, certes, à bien utiliser les bâtons, mais aussi à ne pas oublier l’impulsion des orteils qui termine le pas. Rares sont les marcheurs qui les utilisent correctement. Cela s’explique en partie par la rigidité des chaussures de randonnée qui fait oublier ce ressort précieux.
En marche nordique, cela justifie des tiges basses et des semelles souples, crantées dans l’axe de la marche pour éviter les dérapages, permettant d’exploiter au maximum la poussée de la cheville et des orteils.
Si accélérer perturbe la marche nordique (ce n’est pas une course), ralentir a aussi ses limites. Ce qui en réduit l’usage en Sport Santé : 3,5 km/h semble le plancher de la vélocité propre à la technique ; or les postulants diminués n’atteignent pas toujours ce niveau.
Par exemple, une personne avec un surpoids et des cuisses qui frottent aura du mal à tenir une séance à 4 km/h. Cet inconvénient n’existe pas en randonnée avec bâtons de soutien. Le marcheur peut alors avoir l’allure d’escargot qu’il veut ou peut.
Le mouvement des bras étant le maître de la cadence, et de la coordination qui en découle, il faut le faire le plus correctement possible. Le plus simple est de lancer le bras comme pour donner une poignée de main.
« C’est un geste naturel et souple qui sert de patron efficace », conseille Françoise Bernage. Ensuite, les mains n’agrippent pas les bâtons. On pince la poignée entre pouce et index, en laissant le bâton libre entre les derniers doigts : celui-ci se projette plus loin en arrière et décolle du sol plus facilement.
Au passage de la cuisse, il est important de ne jamais serrer le bâton, a contrario d’un réflexe de soutien. On garde la pince tout le temps. Du coup, les dragonnes sont une erreur en MN, trop lâches donc à prohiber. Seuls les gantelets assurent la bonne stabilité du contact avec les bâtons. Ils sont amovibles (clips), ce qui réduit les manipulations en cours de séance (boissons, adaptation vestimentaire).
Au-dessous d’une heure et demie, il n’y a pas de bénéfice sportif, mais au-delà de deux heures, la fatigue le diminue. Il faut donc se situer dans cette fourchette et répéter les séances dans la semaine plutôt que les allonger, comme cela vaut pour tout entraînement.
La séance commence par 10-15 minutes d’échauffement et se poursuit par le déplacement à vitesse soutenue, proche du seuil respiratoire (quand la conversation devient difficile, autour de 75 % de la VO2 max), avec une ou deux interruptions pour s’hydrater selon la météo, plus rarement pour un en-cas, habituellement pas nécessaire.
Car le bénéfice cardio-métabolique est d’autant meilleur qu’on ponctionne nettement les réserves énergétiques pendant la séance : les glucides d’abord, puis les lipides vers la 30-40e minute. C’est alors qu’on commence à déboucher ses artères…
En fin de séance, on pratique 10-15 minutes de relâchement musculaire, passif, plus que d’étirements actifs. Il vaut mieux étirer un muscle reposé, le lendemain de l’effort, en température ambiante suffisamment chaude, et lentement.
Défi à la pesanteur et à l’équilibre, la bipédie coûte beaucoup d’énergie et des adaptations neuro-musculo-articulaires marquées ; pourtant, elle procure à l’espèce humaine une déambulation remarquablement économe, efficace et endurante. Pourquoi donc ajouter deux bâtons à deux jambes, qui ramènent le marcheur à la quadrupédie animale ?
La mobilisation du haut du corps élève la consommation énergétique, de même que la vitesse accélérée imposée par la propulsion des bâtons. C’est bon en prévention des maladies cardiaques et en récupération d’un infarctus myocardique. En poussant l’organisme au niveau de la transition endurance/résistance grâce à la vitesse de déplacement, la Marche Nordique lutte contre le diabète et l’excès de graisses sanguines (dyslipidémies). Elle complète les activités physiques plus statiques et celles qui mobilisent peu les épaules, et le haut du corps : typiquement la randonnée pédestre. Les capacités respiratoires y gagnent aussi, second bonus.
Un bilan cardio-vasculaire avec épreuve d’effort n’est justifié que s’il y a des facteurs de risque cardio-vasculaires connus, particulièrement au tournant de la cinquantaine : tabagisme, hypertension, dyslipidémie, antécédents familiaux, diabète et ménopause. Ce dernier point est important, car les femmes ménopausées sont friandes de marche nordique pour se maintenir en forme, alors que leur risque cardio-vasculaire rejoint celui des hommes.
On pourrait croire que la marche nordique est douloureuse chez les personnes arthrosiques, mais il n’en est rien pour Françoise Bernage : la marche nordique dégèle les épaules et le dos, à condition que les mouvements restent fluides comme la technique l’exige. Dans les constats médicaux, les maux de dos chroniques disparaissent rapidement grâce au redressement physiologique du tronc quand la posture est correcte. Le soulagement articulaire est aussi manifeste aux membres inférieurs, pas seulement pour les personnes en surpoids. La MN récupère ainsi de nombreux marathoniens privés de course à pied par l’usure articulaire précoce de leurs genoux.
Françoise Bernage a aussi des retours étonnants chez des femmes ostéoporotiques avérées (contrôlées par ostéodensitométrie) qui voient leur densité osseuse augmenter plus efficacement par la pratique prolongée de la marche nordique que par les médicaments. Ce résultat s’explique par la pression exercée sur l’ensemble du squelette, les séances en plein air à la lumière solaire (synthèse de vitamine D) et les vibrations renvoyées par les bâtons (d’un seul tenant avec au moins 50 % de fibres de carbone) à chaque planté. L’os ainsi stimulé voit son métabolisme basculer : sa synthèse (anabolisme) dépasse sa résorption (catabolisme).
Pour Jean-Bernard Sibour, ce bénéfice est essentiel aux randonneurs qui plient l’échine sous le poids du sac. Attesté par la littérature médicale, il est lié à la rééducation proprioceptive (équilibre statique et dynamique) qu’impose la MN. Cette redécouverte du corps en mouvement passe aussi par l’ajout de techniques respiratoires proches du yoga, ou encore la marche afghane. Cela permet de rééduquer en parallèle le mental qui trimbale ses angoisses et sa tristesse, visibles au creusement du thorax vers l’intérieur (dos voûté) ou à la tête rentrée dans les épaules. C’est seulement ainsi qu’on installe une bonne technique nordique (corps redressé) et que le pratiquant se sent « renaître », particulièrement s’il est senior.
Pour éviter aux maladroits de s’embrocher ou de s’empêtrer les pieds dans les bâtons, la déambulation sur des sentiers larges, peu caillouteux, est préférable, en gardant un dégagement de 2 mètres en tous sens entre pratiquants lorsqu’on marche en groupe. Cette sécurité est essentielle.
Bien sûr, éviter le macadam au maximum : on doit planter la pointe du bâton pour se propulser, les embouts de caoutchouc sont un pis-aller.
La chute mal réceptionnée est plus problématique chez les femmes ménopausées où le risque fracturaire est élevé. Les mains captives des gantelets (ou des dragonnes en randonnée) sont en cause, mais les systèmes rapides de désengagement se développent et devraient limiter leur responsabilité.
Ensuite les risques sont liés à la pratique en plein air : asthme, rhinite, piqûres d’insectes… On note en particulier le risque de foudroiement lié aux bâtons par temps orageux.
La technique nordique est optimale en terrain plat. Mais il existe des techniques pour gérer les pentes, descendantes autant qu’ascendantes, avec plantage simultané ou alterné des bâtons.
En randonnée, les terrains accidentés sont mieux abordés avec des bâtons de soutien (télescopiques et ne renvoyant pas l’énergie cinétique des bâtons de MN (à plus forte teneur en fibre de carbone). Parfois, c’est le seul usage que les marcheurs en font : sécuriser la montée et surtout la descente.
À la lecture de cet article, il paraît clair que les bâtons de soutien sont réservés à des marcheurs instables, diminués, malades, qui resteraient sédentaires sans eux. Chez les valides, le soutien apporté est un piège, car l’avantage propulsif n’est vrai qu’avec la technique et le matériel de marche nordique. De plus, on prend de mauvaises habitudes posturales en adoptant le soutien ; et en négligeant la réactivité proprioceptive dynamique liée à la propulsion, on risque de perturber l’apprentissage de la MN.
D’où le choix de nombreux marcheurs de ne pas randonner avec des bâtons, à l’encontre d’une mode qui concernerait tout le monde. Le seul usage qu’ils y voient est la montagne pour sécuriser le déplacement en forte pente. Cela dit, les montagnards les ont largement adoptés pour limiter l’usure de leurs genoux en les soulageant d’une partie de la pression corporelle et de l’équipement.
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