Les enfants, avez-vous bien bougé aujourd’hui ?

Des enfants dans une piste regardent l'objectif
Les enfants, avez-vous bien bougé aujourd’hui ?

Cette question qui devrait être journalière, au même titre que « Vous avez fait vos devoirs ? », est essentielle pour la santé et les résultats scolaires de nos enfants. Nous espérons que cet article va vous en convaincre. 

Par le professeur François Carré, cardiologue CHU Rennes-Université de Rennes

État des lieux des croyances et de la pratique d’activité physique ou sportive

Nous passons chaque jour trop de temps assis et la plu–part d’entre nous ne bougent pas assez. Alertes et recom­mandations répétées n’y font rien, sédentarité et inacti­vité physique sont devenues des priorités de santé publique dans le monde entier. La sédentarité, temps journalier éveillé passé assis ou couché, et l’inactivité physique, quantité d’activité physique (AP) journalière inférieure aux recommandations (Figure 1), ne cessent d’augmenter chez les enfants et les adolescents comme chez leurs parents. Rappelons que AP et sport ne sont pas syno­ny­mes. Tous les sports sont des AP mais toutes les AP, ne sont pas du sport. L’AP c’est simplement bouger.

Figure 1

Enfance et adolescence sont des périodes sensibles pendant lesquelles les choix de mode de vie ont des effets marqués et durables sur le développement individuel et les habitudes de vie ultérieures. Ce choix de mode de vie dangereux favorise chez ces jeunes le développement de maladies antérieurement « réservées » aux adultes comme l’obésité, multipliée par 4 en 23 ans chez les 18 – 34 ans, le diabète de type 2, la dépression. Aujourd’hui, moins de 30 % des enfants et adolescents européens respectent le niveau d’AP recommandé. En France, les enfants de 7 ans et ceux de 14-15 ans sont assis respectivement plus de 50 % et plus de 75 % de leur journée.  De 11 à 17 ans, 4 jeunes sur 5 ne respectent pas l’heure d’AP journalière recommandée.

A l’inverse, personne ne peut le nier, l’AP journalière d’inten­sité modérée et/ou élevée a des effets bénéfiques sur les trois piliers, physique, mental et social, de la santé (Tableau 1). Aujourd’hui, un grand nombre des parents et des enseignants, hors éducation physique et sportive (EPS) bien sûr, pensent que pratiquer une AP ou sportive (APS) est une perte de temps pour étudier et peut avoir un impact négatif sur les résultats scolaires des élèves et des étudiants. Cette fausse croyance est démentie par toutes les études scientifiques récentes qui sont en faveur d’un lien positif entre l’AP modérée et régulière et la réussite scolaire alors qu’aucune étude n’a montré que cette pratique diminuait les capacités d’apprentissage.

Tableau 1

Santé fragile, scolarité difficile

Plus je monte de marches en 5 minutes et plus longue est mon espérance de vie indépendamment de mon âge, de mon sexe et de mes pathologies connues. Ainsi, ma capacité physique (CP), intensité maximale d’effort maintenue 5 minutes, est le reflet de ma santé. Le niveau de force musculaire, très simple à évaluer, est aussi un marqueur d’espérance de vie en bonne santé. Seule l’AP, au moins modérée associant cardio et renforcement musculaire, régulière peut maintenir ou améliorer la CP et la force musculaire.

Depuis 1971, une baisse de la CP est observée chez les collégiens des pays à revenu moyen supérieur et élevé. Les collégiens français qui en 1987 pouvaient courir pendant 5 minutes à 11,2 km/h couraient en 2022 à 9,7 km/h soit moins vite qu’un homme actif de 60 ans ! Parallèlement, leur santé s’est altérée comme en témoignent leurs niveaux de facteurs de risque cardio-métaboliques (hypertension artérielle, cholestérol, intolérance au glucose, surpoids) actuels mais aussi, sauf changement de mode de vie, futurs. Heureusement, il a été montré qu’un entraînement de type fractionné intense individualisé inclus dans les cours d’EPS permettait en quelques séances de rattraper plus de 40 % de la baisse de la CP.    

Sur le plan éducatif, une relation positive entre niveau de CP et réussite scolaire est observée. Ceci pourrait s’expliquer par l’augmentation parallèle de la CP et du volume de l’hippocampe (rôles dans la cognition, la mémoire, l’apprentissage et repé­rage dans l’espace) et de l’intégrité de la substance blanche cérébrale (qualité de la conduction de l’influx nerveux). Le niveau de force musculaire est lui surtout associé à une majoration de la synaptogenèse.

Un cerveau plus performant dans un corps sain

Non, les apprentissages du corps ne sont pas indépendants de ceux du cerveau ! Les neurosciences ont montré que la struc­ture et le fonctionnement du cerveau sont liés à la pratique totale d’AP, au mieux associée à une alimentation équilibrée, et à la CP ; l’amélioration de la réussite scolaire étant d’autant plus marquée qu’elle est initialement basse.

Toute activité physique s’accompagne d’une libération de cytokines, globalement appelées « exerkines », par tous les orga­nes sollicités. Ces molécules agissent localement ou à distance en diffusant dans l’organisme. Cela explique les effets préventifs prouvés de l’AP sur pus de 35 maladies chroni­ques.

Il a été montré chez des élèves de primaire qu’une seule séance d’AP d’aérobie modérément intense de 15 à 30 minutes était bénéfique pour la mémoire verbale à court terme et améliorait le contrôle inhibiteur des élèves particulièrement calmes. Ainsi, enseignants et enfants sont bénéficiaires.

Après une pratique régulière plus ou moins prolongée de l’AP au moins modérée, une modification de l’architecture structurelle et fonctionnelle du cerveau, organe hautement « plastique », est observée (Figure 2). Cette adaptation qui s’observe à tout âge est particulièrement marquée lors des périodes préscolaires et de préadolescence. Parmi les exer­kines, il a été montré que des protéines (facteurs de croissance) agissent sur la plasticité cérébrale de certaines zones du cerveau. Une augmentation de l‘angiogenèse (nouveaux vaisseaux sanguins), de la neurogenèse (nouveaux neurones et entretien des anciens), de la synaptogenèse (nouvelles connexions plus efficaces entre les neurones) est ainsi observée.

Figure 2

Chez l’animal, une amélioration de la connectivité, avec une remyélinisation neuronale, entre les différentes zones du cerveau est démontrée. Chez l’homme, on constate une augmentation du volume de zones du cerveau comme les régions préfrontales impliquées dans les fonctions exécutives de haut niveau (raisonnement, prise de décision…) et l’hippocampe, déjà citée. De plus, l’angiogenèse améliore le débit sanguin cérébral donc l’apport d’oxygène et de nutriments aux neurones Ainsi, l’AP améliore les capacités d’organisation et de communication du cerveau avec des performances cognitives (mémoire et apprentissage) majorées.

Chez les adolescents, qui sont plus sujets aux troubles de santé mentale, il a aussi été montré que les plus actifs souffrent moins d’anxiété, de dépression et d’autres troubles de l’humeur et développent une meilleure estime de soi. Ainsi, au-delà de ces bienfaits physiques et neurocognitifs, l’AP par l’effet de la dopamine et de la sérotonine qu’elle libère améliore l’équilibre psycho-émotionnel, ce qui peut aussi contribuer à la réussite scolaire.

Comment l’activité physique améliore-t-elle les performances scolaires ?

Comme l’apprentissage scolaire, l’APS requiert une pratique progressive, régulière et assidue. Elle impose de se disci­pliner, de se concentrer, de répéter, d’innover et de mémo­riser des techniques pour améliorer la gestuelle, la capacité à bien choisir et l’efficacité des actions. L’améliorations de la concentration, de la détermination, et des capacités d’appren­tissage, est transposable dans la partie éducative avec un bénéfice pour atteindre ses objectifs académiques. 

Au total, l’APS améliore la confiance et l’estime de soi et apprend aux enfants à se discipliner, à se fixer des objectifs, à rester concentrés et développe l’esprit d‘équipe et le sens de la responsabilité. Une meilleure capacité de mémorisation, d’organisation et de gestion du temps leur permet d’être plus efficaces et plus productifs. Une participation accrue à la vie de la classe améliore leur bien-être social. Enfin, l’APS favorise le sommeil, d’où une efficacité accrue le lendemain pour la nouvelle journée d’école. En bref, tout le prouve l’AP, ou l’activité sportive journalière améliore l’épanouissement éducatif et global de l’enfant et son ressenti général de qualité de vie. 

Bouger oui mais que faire et comment ?

Les périodes préscolaires et de préadolescence sont cruciales dans l’acquisition des habiletés motrices. Dans ces périodes, la grande plasticité du système neuromusculaire bénéficie beaucoup des AP neuromusculaires intégratives. De plus, ces acquisitions précoces facilitent la mise en place de compor­tements et de routines bénéfiques pour la santé qui persisteront à l’âge adulte.

Les effets bénéfiques sur la réussite scolaire varient claire­ment selon les AP pratiquées.  Ainsi, l’AP réalisée pour aller à l’école est mal corrélée aux résultats scolaires. En période de préadolescence et d’adolescence, les AP, d’intensité modérée à élevée, pratiquées au moins 3 fois par semaine, associant du travail aérobie, du renforcement musculaire et sollicitant l’équilibre, la coordination, et exigeantes sur le plan cognitif comme les sports collectifs, sont les plus rentables pour améliorer la CP, les habiletés motrices et les performances scolaires. Heureusement, il est possible de rattraper au moins en partie le retard secondaire à une initiation retardée de ces pratiques d’AP.

Parents et école à vous de jouer ! 

Le nouveau mode de vie dicté par l’influence de la techno­logie sur le choix des loisirs peu actifs a effacé chez les jeunes le goût de l’effort et la positivité des interactions sociales. Les parents ont un rôle primordial à jouer, par l’exemple et le maintien de relations avec leurs adolescents, pour changer ces mauvaises habitudes. Écoutons les ados, leurs plaintes sont exprimées inconsciemment dans leurs phrases fétiches « j’ai la flemme », « je m’ennuie » ou « je déprime » traduisant les effets d’une sédentarité qui ne les repose pas et d’un manque d’AP qui retentit sur leur moral.

L’Education nationale aussi a un rôle majeur à jouer. Elle ne semble pas avoir assimilé que le mode de vie des enfants a totalement changé et que la vie scolaire doit s’adapter. La plupart des enfants européens de 6 à 12 ans vont aujourd’hui à l’école de la sédentarité qui leur impose des journées scolaires où ils sont assis pendant 64 % du temps et bougent modérément seulement 5 % du temps (6 minutes !) quotidiennement, insuffisamment suivies. Notre système n’arrive pas réellement à inclure l’AP dès l’âge préscolaire pour qu’elle devienne une routine.

Rappelons que la France se présente comme le pays euro­péen avec le nombre le plus élevé d’heures d’EPS au collège alors que 3-4 h/semaine sur l’emploi du temps se traduisent par 60 à 90 minutes effectives d’AP. L’éducation sur l’importance de l’AP ou de l’activité sportive manque aussi cruellement. Deux périodes sont critiques, entre 6 et 11 ans où l’AP baisse et la sédentarité augmente beaucoup avec en parallèle une majoration du surpoids, et pendant les études supérieures ou d’apprentissage, où l’AP est la grande oubliée. Au total, l’EPS devrait être considérée comme une matière majeure aussi importante, ni plus ni moins, que les autres.

Conclusion

Les preuves scientifiques sont formelles, l’AP sculpte le cer­veau au même titre que le muscle et participe à améliorer nos capacités cognitives. Il n’est pas nécessaire de devenir un athlète de haut niveau pour bénéficier pleinement de ces effets, l’introduction dans son mode de vie d’une routine d’AP ludique journalière d’intensité modérée suffit. Pourtant, l’importance de cette pratique reste très sous-estimée par les acteurs principaux de l’éducation des jeunes que sont les parents et l’Education nationale.

D’un point de vue holistique, la promotion et l’éducation de l’AP dans l’enseignement comme à la maison contribuent à la réalisation de plusieurs objectifs de développement durable recommandés par les Nations unies comme la bonne santé et le bien-être, une éducation de qualité, l’égalité des sexes, la réduction des inégalités, le développement de villes et communautés durables, et une action climatique bénéfique.