En 2019, le Prix Nobel de médecine a été attribué à deux chercheurs américains, William Kaelin et Gregg Semenza, et au britannique Peter Ratcliffe. Ce prix couronnait leurs travaux sur les mécanismes grâce auxquels les cellules s’adaptent aux modifications de leur oxygénation.
Par Nicolas Coulmy, PhD, directeur du Département Sportif et Scientifique de la Fédération Française de Ski
Un défaut trop important d’oxygénation des cellules peut engendrer des effets délétères sur les organes avec des conséquences métaboliques locales ou systémiques (pathologies respiratoires…) et cardio-vasculaires (AVC, infarctus du myocarde). Le COVID-19, qui provoque des infections respiratoires sévères, a ainsi engendré des hypoxies aiguës mais aussi des hypoxies dites « silencieuses et insidieuses ».
Malgré ce tableau plutôt négatif de l’hypoxie, il est tout de même possible de l’utiliser à des fins bénéfiques chez des personnes saines mais aussi porteuses de certaines pathologies. L’une des lois fondamentales du vivant est, en effet, représentée par le fait que l’organisme a la capacité de s’adapter à des changements d’environnement. La faculté d’adaptation à des stimulations répétées de notre organisme en matière d’effort à fournir ou d’exposition à un environnement naturel sortant de l’ordinaire constitue une faculté universelle. Depuis les Jeux olympiques de Mexico, différentes méthodes d’entraînement en hypoxie ont été développées et couramment utilisées par les sportifs de haut niveau pour augmenter leur capacité d’adaptation à des efforts importants au niveau de la mer (normoxique) ou en altitude. Au-delà du simple stage en altitude, la combinaison d’un entraînement de haute intensité avec des conditions hypoxiques est aussi proposée depuis plusieurs années afin de réduire le temps d’entraînement ou d’exposition. Ainsi, de nombreuses recherches ont montré que l’hypoxie peut être un atout majeur dans le domaine de la santé afin d’obtenir des bénéfices sur le système hémato-vasculaire (volume de globules rouges, réactivité vasculaire périphérique), l’angiogenèse (développement de nouveaux réseaux sanguins), la fonction musculaire et pour modifier la fréquence cardiaque lors de l’effort. Cependant, le degré d’adaptation dépend de nombreuses variables et notamment de la « dose » d’hypoxie (temps d’exposition, intensité d’hypoxie), de la condition physique initiale des personnes ou encore de leur capacité de réponse individuelle à ce type d’entraînement.
L’émergence de nouvelles technologies (masques ou chambres hypoxiques normobares permettant de réduire la concentration d’O2 dans l’air inspiré) a facilité le déploiement de ces méthodes sur une population plus large que les sportifs de haut niveau.
Toutefois, l’accès à ce matériel onéreux n’est pas toujours aisé et il reste possible d’avoir des stratégies permettant de générer une hypoxie dite « du pauvre ».
Les techniques utilisant l’hypoventilation peuvent être assimilées aux méthodes d’entraînement par hypoxie. Elles consistent à répéter de courts épisodes d’apnée en fin d’expiration pendant différents modes d’exercice physique. Cette approche provoque une forme d’hypoxie avec une baisse de dioxygène dans le sang artériel avec une augmentation de dioxyde de carbone, entraînant une désoxygénation du sang et des muscles. L’augmentation du volume d’éjection systolique, une augmentation significative du flux sanguin musculaire et une meilleure utilisation de l’oxygène par les muscles.
La Fédération Française de Ski utilise ces techniques depuis plusieurs années avec les équipes de France mais, plus récemment, elle a intégré son expérience dans le sport santé.
Concernant le ski, quelle que soit la discipline, il est courant de pratiquer en moyenne ou haute montagne. L’altitude implique une baisse de la pression barométrique et une diminution de la quantité d’oxygène disponible. Le corps se retrouve donc exposé à un manque d’oxygène que l’on appelle « l’hypoxie ». C’est à partir de 1500-2 000 mètres que des effets commencent à s’exercer sur le corps et surtout si cette exposition à l’hypoxie est couplée à un exercice physique.
Il est donc aisé, en s’appuyant sur des disciplines telles que le ski de fond, le biathlon, le ski de randonnée mais aussi le ski alpin de mettre en place des situations de préparation physique à des fins non pas d’optimisation de la performance mais simplement des facteurs physiologiques de santé.
Dans le cadre de prévention primaire, la FFS a mis en place des contenus d’accompagnement au développement des capacités cardio-vasculaires et respiratoires basés sur des méthodes d’hypoventilation à altitude basse à moyenne (de
0 à 1500 m) et dont la séance prend la forme suivante :
Dans le domaine de l’accompagnement des personnes souffrant de certaines pathologies et notamment de surpoids, voire d’obésité, le stimulus hypoxique modéré est considéré comme une modalité thérapeutique. Des contenus spécifiques de prévention secondaire et tertiaire ont été développés à la FFS sur la base de preuves scientifiques suggérant que, lorsque l’hypoxie et l’activité physique sont combinées, il est possible de mieux contrôler la masse corporelle et d’améliorer d’autres conditions de santé, y compris certains paramètres cardio-respiratoires. Une explication probable de la perte de masse grasse est probablement la diminution de l’apport alimentaire (réduction de l’appétit induite par l’hypoxie), l’augmentation de la dépense énergétique et du métabolisme des lipides.
Ainsi, un programme de ski nordique utilisé par des coachs ski santé de la FFS met en œuvre un cycle très progressif d’exercices intenses de type fractionné chez des personnes en surpoids pendant les trois mois d’hiver et à une altitude progressive de 800 m à 1 800m. Il apparaît que l’activité de ski nordique (ski de fond, biathlon) permet de mobiliser un grand volume musculaire (haut et bas du corps) et qu’un effort intense est facilement modulable et individualisable en fonction de la pente, de la forme de gestuelle mais aussi en intégrant des contraintes supplémentaires comme le frein d’un élastique tenu par un partenaire (voir photo). L’utilisation du tir dans les phases de récupération d’une séance de biathlon permet de donner une dominante ludique à un exercice très énergétique.
Une étude de Camacho-Cardenosa et collaborateurs (2018) a pu conclure que l’entraînement intense sous hypoxie normobarique intermittente pouvait être une activité particulièrement adaptée à des patients en surpoids/obèses pour lesquels la capacité d’exercice est limitée par des problèmes de santé. Il s’avère que les bénéfices d’un tel programme se maintient dans la période de désentraînement qui suit et pendant laquelle les personnes obèses ont parfois tendance à abandonner les programmes d’exercice. Or, dès les premiers signes de surpoids, il est important de pouvoir agir à long terme sur le contrôle du tissu adipeux. Son accroissement entraîne des niveaux anormalement élevés d’adipokines, substances à l’origine d’un état chronique d’inflammation. Ce phénomène est responsable d’un développement progressif de la résistance des cellules à l’insuline et d’un dysfonctionnement de la fonction endothéliale qui sont à l’origine des pathologies associées à l’obésité telles que le diabète sucré de type 2, les maladies cardio-vasculaires ou certains types de cancer. à travers toute la gamme des situations d’hypoxie mais aussi les différentes disciplines du ski et de ses terrains, il existe une possibilité infinie d’exercices stimulants à proposer. Les Coachs Ski Forme de la Fédération Française de Ski apprennent à créer des situations adaptées à chacun en fonction de ses motivations, son historique de santé, son niveau technique. L’altitude devient parfois une alliée pour progresser à son rythme.
Exercice de chant en « canon » pendant un effort de ski de randonnée
Une façon plus ludique de s’initier à l’hypoventilation est proposée également dans les sessions de « Ski Forme » : un groupe en ski de randonnée évolue sur une pente relativement importante en ligne de trois et chaque ligne chante « en canon ». La contrainte du chant couplée à celle de l’effort de ski de randonnée engendre progressivement une hypoventilation sensible tout en se décentrant de l’inconfort grâce au plaisir suscité par le chant en chorale.
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